28/11/11
Le Hors-Série n°55 de Politis est sorti. Son titre ? « De l’utopie à la réalité : la transition écologique« . Florence Jany-Catrice et moi-même y faisons le point sur l’enjeu des indicateurs écologiques et sociaux de la transition. Car les chemins à suivre pour sortir de la dictature du « toujours plus » passent sans doute par le remplacement de l’indicateur phare du productivisme : le Produit Intérieur Brut. Extraits…
Extraits « (…) Le produit intérieur brut (PIB) ne devrait être qu’un outil permettant d’atteindre d’autres finalités – comme par exemple l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé ou encore une meilleure qualité de vie pour tous. Mais la croissance de cet indicateur macroéconomique est progressivement devenue une fin en soi. Pourtant, les limites de l’assimilation entre croissance et progrès sont maintenant bien connues ; elles ont d’ailleurs été largement entérinées en 2009 par la commission internationale sur « la mesure des performances économiques et du progrès social » emmenée par Joseph Stiglitz.
C’est dans ce contexte de remise en cause du PIB que sont apparus depuis une vingtaine d’années de nouveaux indicateurs, reposant sur la conviction que ces outils constituent une composante nécessaire à la métamorphose de l’action publique et sa réorientation vers un monde plus soutenable. (…)
La transition écologique et ses indicateurs
Les indicateurs alternatifs sont également nombreux dans le domaine de l’écologie. Ce n’est d’ailleurs guère étonnant puisque, là encore, le PIB et sa croissance ignorent complètement la dégradation des milieux ou l’épuisement des ressources naturelles. Pour palier à ces manques, les nations ont d’abord développé des systèmes de comptabilité environnementale complémentaires au PIB, ainsi que des outils statistiques relativement exhaustifs. Mais ces outils souffrent de deux inconvénients majeurs : ils sont complexes (couvrant des dizaines de domaines) ce qui leur interdit de toucher un large public, réduisant par là même leur poids politique ; ils ignorent l’impact lié à nos consommations en dehors des frontières nationales, laissant penser que certaines pollutions ont reculé dans les sociétés les plus riches… alors qu’elles ont le plus souvent simplement été délocalisées.
C’est donc de la société civile et du monde académique que sont venues les principales innovations en matière d’indicateurs environnementaux. Et parmi ces indicateurs alternatifs, la famille des « empreintes » est sans doute la plus significative.
Le principe de l’empreinte consiste à imputer au consommateur final l’intégralité des impacts liés à la production et à l’acheminement d’un bien ou d’un service donné. Prenons le cas d’un tee-shirt dont le coton a été produit en Inde, puis tissé en Chine avant d’être transporté puis commercialisé en France. Le seul impact ayant eu lieu sur le territoire français concerne les consommations d’énergie et les émissions de CO2 liées au commerce de ce tee-shirt : autant dire pas grand chose. Pourtant, sa production a eu bien d’autres impacts – notamment en Inde et en Chine. Le principe de l’empreinte consiste donc à comptabiliser tous les impacts liés à la production de ce tee-shirt pour les ré-imputer au pays consommateur.
Par exemple, l’empreinte carbone totale de la France est estimée à environ 9 tonnes de CO2 par habitant et par an. C’est 30% de plus que les émissions directes de CO2 du territoire français. Autrement dit, près de 3 tonnes de CO2 par habitant sont incorporés dans les produits et les services que nous importons, ce qui correspond à une sorte de « délocalisation » de nos émissions. Cette part ne cesse d’ailleurs d’augmenter, au gré de la mondialisation et des transferts de pollution qui l’accompagnent.
L’empreinte écologique est peut-être encore plus parlante que l’empreinte carbone. Le principe consiste ici grosso modo à mesurer la surface écologiquement productive de terre ou de mer qu’il convient de mobiliser pour répondre à la consommation d’un individu ou d’une société. Par exemple, il faut une certaine surface de terres agricoles pour produire une tonne de tissu, ou une certaine surface pour séquestrer le surplus de CO2 issu de la combustion des énergies fossiles. L’empreinte écologique de l’humanité est aujourd’hui estimée à 2,7 hectares par habitant. Or les surfaces écologiquement productives disponibles sur Terre correspondent à 1,8 hectare par habitant. L’humanité aurait donc besoin de davantage de surfaces qu’il n’y en a de disponible. A défaut de pouvoir en disposer, certaines ressources renouvelables s’épuisent tandis que des quantités grandissantes de gaz à effet de serre vont s’accumuler dans l’atmosphère.
Evidemment, les responsabilités dans cet état de fait sont très variables. L’empreinte écologique d’un Etasunien est par exemple dix fois supérieure à celle d’un Afghan ou celle d’un Burkinabé. L’empreinte écologique d’un Français est quant à elle proche de 5 hectares. Cela signifie que si chaque habitant de la planète vivait selon le standard de vie français, il faudrait presque 3 planètes comme la nôtre pour répondre durablement aux besoins de l’humanité. Comme on le constate aisément, les indicateurs écologiques renvoient ici à des préoccupations éminemment… sociales.
Vers une transition écologique et sociale ?
Que retenir de tout cela ? D’un côté, les indicateurs de développement humain et de santé sociale qui se sont multipliés au cours des dernières décennies montrent clairement les limites du modèle productiviste : à partir d’un certain niveau de PIB, la course à la croissance et à la productivité génèrent de nouvelles formes d’inégalités et de mal-être au sein des sociétés les plus riches. D’un autre côté, les indicateurs écologiques nous montrent qu’il est de toute façon impossible de généraliser le modèle de surconsommation occidental à tous les habitants de la planète, faute de ressources suffisantes.
Que ce soit pour des raisons humaines ou écologiques, il est de plus en plus clair que le productivisme est à bout de souffle. Il est temps d’imaginer un autre chemin. Mais si les indicateurs peuvent nous aider à nous repérer sur cette voie, il va de soi que c’est à la société civile de décider de leur contenu et de leurs finalités. Des expérimentations démocratiques convaincantes disséminées dans le monde, et sur les territoires français, montrent que cela est possible. »
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