Le mouvement des villes en transition a connu un succès important au cours des dernières années. A travers le globe, des centaines d’initiatives de citoyens se sont ainsi formées avec l’ambition de changer le mode d’organisation des sociétés modernes pour l’adapter à la réalité des limites écologiques, tout en renforçant la solidarité entre individus et communautés. Le succès éveille aujourd’hui la curiosité… mais aussi la critique. Un article publié dans S!lence.
15/09/13
Transition : critiques émergentes
Par Aurélien Boutaud
Article publié dans S!lence, n°415, Septembre 2013, pp. 29-31
La notion de résilience est apparue en écologie scientifique dans les années 1970 pour désigner la capacité des écosystèmes à se réorganiser suite à un choc. Mais le succès de cette notion est beaucoup plus récent dans le domaine de l’écologie politique. On doit en particulier cet engouement au mouvement des villes en Transition, qui a largement œuvré à la promotion de cette idée[1]. Rob Hopkins[2] utilise souvent l’analogie d’un gâteau : dans une société résiliente, les principaux ingrédients du gâteau sont produits localement, et on ne fait appel aux produits importés que pour la touche finale : les cerises confites et le glaçage, par exemple. Dans une communauté peu résiliente, les ingrédients de base sont tous importés, et seuls les cerises confites et le glaçage sont produits localement. En cas de choc énergétique (comme le pic pétrolier) une société peu résiliente est donc extrêmement fragile car son mode de vie dépend presque entièrement d’un ensemble de systèmes sociotechniques globalisés qui nécessitent beaucoup de transport et d’énergie : les cerises et le glaçage ne suffisent pas à faire le gâteau ! Afin de renforcer la résilience des sociétés humaines, le mouvement de la Transition propose donc des actions qui vont dans le sens d’un accroissement de l’autonomie des territoires et une relocalisation de tout ce qui peut l’être. Pour y parvenir, les « transitionneurs » prônent également un renforcement des liens entre les individus : il s’agit d’enrôler le plus largement possible les citoyens, en dépassant les clivages politiques traditionnels. Mais comme on pouvait s’y attendre, le succès du mouvement de la Transition commence à générer un certain nombre de critiques.
Critiques du localisme
C’est sans doute la perspective localiste qui fait l’objet du plus grand nombre de débats. Sans surprise, certaines de ces critiques sont issues des adversaires traditionnels des mouvements écologistes, en particulier ceux qui réfutent l’origine humaine du changement climatique et minimisent le pic pétrolier. Parmi les chantres de la mondialisation économique, l’éloge du localisme et le slogan « small is beautiful » sont également violemment critiqués, dans la foulée d’un ouvrage de Wilfred Beckerman au titre explicite : « Small is stupid[3]. » Mais c’est sans doute parmi les sympathisants de la Transition que l’on trouve les critiques les plus constructives. Parmi eux, certains voient dans cette tendance au localisme une forme potentiellement dangereuse de repli sur soi. Peter North fait par exemple une analyse intéressante des différentes formes de localisme, dont il distingue deux grandes tendances :
– un localisme faible (weak localism) qui ne serait qu’une adaptation déconcentrée du modèle capitaliste sous contrainte énergétique, ce qui n’apporterait rien de fondamentalement neuf dans les rapports sociaux ;
– un localisme fort (strong localism) davantage décentralisé et basé sur une économie stationnaire, à vocation sociale et solidaire, qui correspondrait donc davantage au projet généralement porté par les initiatives de Transition… mais dont Peter North se demande bien comment elle pourrait concrètement se propager à l’ensemble de la société[4].
En France, cette tendance au localisme mâtiné de décroissance est également critiquée par Jean-Marie Harribey et Cyril Di Méo, qui pointent du doigt un risque pour le devenir de l’assurance chômage ou encore de la sécurité sociale : « que deviendraient ces solidarités institutionnalisées, obtenues par les luttes sociales, dans une société de décroissance démonétarisée ? [5]» Comment maintenir ces systèmes de solidarité nationale dans un contexte où la base d’imposition (l’activité économique) se contracterait et où les formes d’organisation sociale se relocaliseraient à l’extrême ?
Critiques de l’apolitisme et du consensus
D’autres auteurs, tels Alice Cutler et Paul Chatterton, pointent du doigt la dimension inclusive du mouvement, c’est à dire sa volonté de passer outre les clivages politiques traditionnels. A trop vouloir faire consensus parmi une communauté, à trop refuser l’affrontement, Cutler et Chaterton se demandent si le risque n’est pas de marginaliser les militants, ceux qui s’inscrivent dans un processus de dénonciation radicale du système. Le fait que Rob Hopkins rechigne à utiliser le terme capitalisme est identifié par ces deux auteurs comme un élément significatif qui « empêche une analyse de la manière dont des logiques de profit et les forces du marché continuent à dessiner notre avenir.[6] » Le mouvement est ainsi régulièrement accusé par les activistes de gauche et les écologistes politiques d’être trop consensuel, ne citant pas ses ennemis et ne s’attaquant pas aux fondements du problème : à savoir le mode de fonctionnement de l’économie capitaliste. On notera à ce propos, comme le font Luc Semal et Mathilde Szuba, que cette dimension consensuelle et inclusive est une des différences importantes entre le mouvement de la Transition et celui de la Décroissance[7]. Enfin, d’autres auteurs comme Ted Trainer reprochent au mouvement de la Transition de ne pas être suffisamment novateur : l’écologie politique et le vaste mouvement de l’économie sociale et solidaire proposent en effet depuis des décennies de nombreuses solutions que le mouvement de la transition reprend à son compte en l’inscrivant dans une perspective réformiste. Ce à quoi Ted Trainer oppose que tout projet de réforme est voué à l’échec : « car les réformes ne peuvent pas résoudre le problème.[8] »
…
Suite et fin de l’article dans S!lence, n°415, septembre 2013
[1] Voire notamment les dossiers réalisés par S!lence : n°365, 379, 385.
[2] Hopkins R., 2010. Manuel de la Transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Ed. Ecosociété, Montréal.
[3] Beckerman, W., 1996. Small is Stupid: Blowing the Whistle on the Greens. Duckworth Ed., London.
[4] North P., 2008. « Localisation as a response to peak oil and climate change – a sympathetic critique », Department of Geography, University of Liverpool, Liverpool. URL : http://transitionculture.org/2008/09/30/a-sympathetic-critique-of-localisation-by-peter-north/
[5] Di Méo C., Harribey J-M., 2006. « Du danger de lé décroissance » in Politis, n°917, 14 septembre 2006.
[6] Cutler, A., Chaterton P., 2009. The Rocky Road to a Real transition : The Transition Towns Movement and What it Means for Social Change. Ed. Trapese , London. URL : http://www.trapese.org/
[7] Semal L., Szuba M., 2010. France qui décroît, France en transition, in Hopkins (2010) pp. 180-185.
[8] Trainer T., 2011. « The transition towns movement : its huge signification and a friendly criticism », Billet mis en ligne le 6 avril 2011. URL : http://www.feasta.org/2011/04/06/the-transition-towns-movement-its-huge-significance-and-a-friendly-criticism/