Les classes dominantes ont souvent utilisé l’imagerie de la nature afin de légitimer la nécessité de hiérarchie (la nature, ce serait la « loi de la jungle »). Pourtant, la connaissance que nous avons aujourd’hui des systèmes écologiques est bien plus complexe. Et certains écologistes pensent au contraire que la destruction de la nature par l’homme trouve ses racines dans les processus de hiérarchie sociale. Un bref rappel de ces débats passionnants dans les colonnes de l’An02.
15/11/14
par Aurélien Boutaud
Une tribune publiée dans L’An02, n°6, p.5
Les dominants ont toujours trouvé dans la nature matière à légitimer leur pouvoir et leur idéologie. Les métaphores naturelles parsèment ainsi la littérature économique depuis ses origines. « La nature, c’est la loi de la jungle » répètent en cœur ceux pour qui le capitalisme relève de l’ordre naturel des choses. On se souvient également de la manière dont la théorie de l’évolution a été récupérée dès le 19ème siècle par les classes dominantes afin de justifier les inégalités les plus criantes de la société industrielle. Et cette récupération idéologique s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui, notamment dans le domaine de la sociobiologie. Beaucoup d’encre a ainsi coulé sur le cas des babouins, présentés par certains comme les communautés animales les plus proches des nôtres. Pourtant, si tant est qu’une telle comparaison entre communautés animales et sociétés humaines ait un sens, le gibbon, plus proche de nous sur le plan évolutif, aurait sans doute mieux convenu que le babouin. Mais « qui voudrait ressembler aux gibbons, paisibles, végétariens, partageant leur nourriture (…) ? » se demande Elise Boulding. Non, vraiment, « il vaut beaucoup mieux se comparer aux babouins, qui vivent en groupes importants et solidement unis, jalousement fermés aux babouins étrangers, où tout le monde sait qui commande, et chez qui la mère prend soin des petits tandis que le père s’en va chasser ou pêcher. [1]»
Lorsqu’elle n’est pas traitée comme un ennemi ou un simple puits de ressources à exploiter, la nature est donc considérée par les dominants comme une pourvoyeuse de métaphores soigneusement choisies afin de légitimer leur pouvoir. Pourtant, comme le fait remarquer Murray Bookchin, les métaphores de la prédation et de la pyramide alimentaire reposent sur une compréhension très superficielle des dynamiques écologiques. Car, plutôt qu’une organisation pyramidale et hiérarchique telle qu’on pouvait se la représenter au 19ème siècle, l’écosystème ressemble en fait davantage à un réseau circulaire, « un entrelacs de relations entre plantes et animaux (…) dont font partie des créatures aussi fortement différenciées que les micro-organismes et les grands mammifères. » Dans un tel système, chaque élément est inséré dans un tissu complexe de relations qui forment une chaîne sans fin, en constante évolution. Un réseau dans lequel les rapports de coopération sont aussi présents que ceux de prédation, et où un microbe peut terrasser les plus gros mammifères. L’image d’une organisation pyramidale est bousculée au point que Bookchin n’hésite pas à affirmer que, « ce qui confère à la conception écologique son caractère extraordinairement libérateur, en fin de compte, c’est sa remise en cause des notions classiques de hiérarchie. [2]»
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